ARTICLE DE L'ANCIEN BLOG en date du 16 décembre 2009
A l'école des éclaireurs pisteurs cosaques!
Parmi les sciences guerrières de la culture cosaque, l'une des plus
pointues et intéressantes mais pas la plus connue est incontestablement
la science du pistage. En effet, les cosaques ont toujours eu une très
bonne réputation d'éclaireurs, et parmi ceux ci, quelques uns(1) furent
d'excellents pisteurs, notamment dans pour la chasse ou pour contrôler la ligne du front du Caucase en leur temps. Dans ce petit article, nous allons passer en revue l'origine et les spécificités des traditions d'éclaireurs pisteurs cosaques en passionné du pistage que je suis (exercant moi-même le métier et ayant eu contact avec d'autres traditions dans le domaine, dont japonaises).
Une brève histoire des cosaques
La tradition du pisteur en cosaquerie remonte à des temps
immémoriaux (non en faite(2), pas si loin que ça : dans les environs du
15eme siècle!) suite à l’ethnogenèse des peuplades cosaques. Ces
dernières trouvent leur origine dans les descendants des varègues,
vikings descendus par les fleuves et rivières s'étant installés des
comptoirs commerciaux en Ukraine, et dans le Sud de la Russie au cours
du 8eme et 9eme siècle. Avec le temps, ils se sont métissés aux locaux,
principalement des tatars, et donneront ce qu'on appelle des
proto-cosaques. Par la suite, ils seront rejoins par une multitude
d'esclaves fuyant le servage, et des diverses peuplades nomades avides
de liberté. On distinguera alors 4 grands créations de "peuplades"
spontanées : Les cosaques du sud de l'Ukraine (futurs cosaques
zaporogues), les cosaques du Don, les cosaques du Terek et les cosaques
de l'Oural. Ces sont ces mêmes peuplades qui donneront naissances bien
plus tard aux futures armées peuples de l'Armée impériale russe si bien
connue en occident! L'ensemble des savoirs de vie sur le terrain de ces
peuplades métissées est à l'origine même de la science du pistage chez
les cosaques. C'est bien entendu très raccourci, l'histoire d'un peuple
ne pouvant reposer sur quelques lignes...
Territoires cosaques en 1914
Le cosaque est un Homme de la Nature : Le pistage de chasse
Héritiers des nombreuses peuplades ancestrales les composant, le pistage est de manière générale une discipline pratiquée par
tout bon cosaque digne de ce nom, le cosaque étant avant tout autre
chose un Homme de la Nature. C'est donc tout petit que le jeune cosaque
partant régulièrement à la chasse avec sa famille (pour subvenir à leurs
besoins alimentaire), débute son apprentissage du pistage : dénicher
les lieux de vie des animaux, savoir qui ils sont et comment ils vivent
(habitude de lever et de coucher, lieux de gagnage, comportement type
etc...) pour les piéger (héritage des savoirs ancestraux des peuplades de L'Oural comme les Bashkirs, ou de Sibérie), ou les tirer au fusil le cas échéant.
Partie de chasse au cervidé au Kouban, début 20eme siècle
Cette première approche simpliste permet à l'enfant de prendre
conscience de son environnement, d'éveiller ses sens (et pas seulement
la vue!), tout en commençant à se mouvoir discrètement dans la nature
(l'invisibilité est aussi et surtout une question d'état d'esprit...Nous
développerons ce sujet prochainement). Ce pistage dans le cadre de la
chasse de survie est propre à quasiment toutes les peuplades cosaques,
mais les experts en la matière restent incontestablement les anciens
cosaques de Sibérie, qui servaient en leur temps de trappeurs pour la
couronne impériale en rapportant de nombreuses fourrures précieuses
(hermines, zibelines, castors, loups, renards...). Fait remarquable,
notons que plus tard, ces mêmes trappeurs serviront de gardes de parcs
naturels en luttant et en traquant les braconniers! C'est d'ailleurs un
fait d'actualité(3) en Sibérie orientale présentement. Notons également
qu'au cours du 19ème siècle, les cosaques étaient de toutes les
expéditions en Sibérie, dans le cadre de recherches naturalistes ou
ethnologues, avec des chercheurs français(4) en autre!
Le pistage est à l'origine destiné à la traque animale : trouver
des indices de passage pour remonter les pistes jusqu'à la cible.
Dans le cadre de la chasse au fusil, les jeunes apprenaient
également à pister au sang, c'est à dire à traquer un animal qu'ils ont
tiré (et qui n'est pas mort sur le coup) afin de le ramener au camp pour
le conditionner (dépeçage propre pour préserver la peau, vidage,
découpe de la viande, récupération des matériaux intéressants tels que
les tendons et autres...). Le pistage au sang, outre de suivre les
traces d'un animal blessé, fait appel à une capacité psychologique très
importante de la discipline, celle de l'empathie, c'est à dire à
ressentir ce que l'animal ressent pour se mettre dans sa "peau",
comprendre comme il raisonne pour savoir précisément comment il se
déplace, où il va, afin le retrouver efficacement... Par ailleurs, lors
de ces chasses sur d'immenses territoires, l'accent était également mis
sur la faculté de l'enfant à retrouver ses pas, pour revenir au camp ou
au village, prémisse à l'apprentissage de la traque humaine.
Le pistage avec chien est assez rare chez les cosaques.
Traditionnellement, ce sont surtout les cosaques du Don qui procédaient
(procèdent encore) aux battus avec le lévrier barzoï. Ils traquaient
principalement le lièvre, mais aussi parfois le loup qui s'attaquaient
aux troupeaux.
Retrouver les chevaux
Héritiés de plusieurs coutumes des peuplades nomades (kalmouks,
tatares et autres...), les cosaques faisaient grand cas de la capacité à
pister les chevaux, pour les retrouver lorsqu'ils fuguaient notamment.
C'est ainsi que dès son plus jeune âge, le petit cosaque se devait
d'apprendre à traquer un ou plusieurs chevaux, souvent les siens
lorsqu'il les gardait dans la steppe et que ceux ci se dérobaient à sa
vigilance. Il apprenait ainsi à différencier les différents pas et
allures ou bien les types de ferrure, pour retrouver précisément LE ou
LES chevaux fugueurs! Et par la suite en grandissant, il lui était
facile de traquer des ennemis à cheval s'infiltrant sur le territoire...
Un "jeune cosaque d'honneur" apprenti pisteur traque des chevaux fugitif.
De la tradition à la science du pistage au combat : l'Art des éclaireurs pisteurs
Forts de ces habitudes énoncées précédemment (et sans oublier la
culture martiale cosaques!), les cosaques à travers le temps ont
toujours eu une excellente réputation d'éclaireurs : ils savaient se
mouvoir rapidement, trouver et identifier une cible, l'observer, la
traquer dans la durée. Dans l'imaginaire du commun des mortels, le
cosaque est indissociable du cheval et on pense systématique le cosaque
sur son cheval. Pourtant, ce n'était pas le cas : Le cosaque pisteur
était aussi bien un éclaireur à pied qu'à cheval. Et ce furent les
cosaques du Kouban et du Terek, qui faisaient grand usage de
l'infanterie cosaque (dite de "cosaques à pied") et en particulier de
troupes de chocs nommées Plastounes (du russe пластун - plastun : "celui qui rampe").
Groupe d'éclaireurs cosaques (dessin de L.E.Dmitriev 1887)
Section d'éclaireurs plastounes du 1er bataillon de plastounes du
Kouban sur la ligne de défense du Caucase. (Anonyme. 1877). Ces cosaques
devaient patrouiller discrètement, déceler l'ennemi présent ou passé...
C'est certainement parmi ces plastounes qu'on trouvait les
meilleurs spécialistes dans la traque humaine : Ils devaient être les
yeux et les oreilles de l'armée, dénicher l'ennemi où il se cachaient,
le harceler, abattre ses têtes (les cosaques du Caucase faisaient grand
cas du tir de précision et du pistage des tireurs isolés dans la lutte
anti-sniping). C'est cette dimension particulière du pistage, véritable
voie de l'excellence qui fait école via la tradition orale de nos jours
bien que quelque peu oublié au détriment du simple pistage animalier...
Et pourtant, c'était là que le pisteur cosaque gagnait véritablement ses
lettres de noblesse, le pistage humain étant la traque la plus
difficile à mener (et la plus captivante en soi!). Celle ci demande des
qualités physiques, intellectuelles et psychologiques exceptionnelles,
pour ne pas dire rares, et il faut beaucoup de talent et de temps, pour
maitriser et appliquer cette science si compliquée (aussi complexe que
peut être l'Homme lui même). D'où le fait qu'il y ait si peu d'éclaireur
pisteur au sens noble du terme actuellement. Au delà du simple acte de
pister un humain, cette discipline fait entrer son adepte dans un tout
autre univers, où la perception de chaque chose, des phénomènes de cause
à effet, et de l'Autre ouvrent des portes sur la compréhension même du
monde qui nous entoure et de ses moindres aspects...
Dans un prochain article, nous verrons en détails
l'apprentissage traditionnel du pistage animalier chez les cosaques
(type d'animaux traqués, techniques à proprement parlées etc...), en particulier les savoirs des cosaques trappeurs en Sibérie.
Notes :
(1) : Ceci dit, point important, tous les cosaques ne sont pas
pisteurs. Et tous les pisteurs ne sont pas cosaques! Voilà une réalité
importante à prendre en compte! Il existe à travers le monde plusieurs
grandes traditions de pisteur (parlons davantage d'éclaireur pisteur).
La tradition cosaque en est une (les autres feront l’objet d'un prochain
article), se concentrant particulièrement sur l'excellence de la
discipline, c'est à dire la traque humaine, science complète maitrisée
seulement par une petite poignée...
(2) : Pour se faire valoir, de nombreux arts et traditions se
prévalent d'une longue et ancien transmission...c'est traditionnel dans
le monde des arts martiaux par exemple...La tradition des éclaireurs
pisteurs cosaques actuelle est le résultat d'une longue genèse, d'un
processus de maturation qui durera plusieurs siècles jusqu'à aboutir au
début du 20eme siècle au sein d'une élite restreinte (dixit : tous les
cosaques ne sont pas pisteurs), d'où sa faible diffusion.
(3) :
http://www.liberation.fr/monde/0101146863-aux-portes-de-la-siberie-les-cosaques-veillentressuscitee-en-1991-l-armee-cosaque-tente-de-contrer-l-immigration-clandestine-chinoise
Une
partie parle de la défense de zone protégée. Dans de nombreux
endroits de la Russie, les cosaques sont actuellement employés comme
gardiens de zones protégées et participent à la lutte anti-braconnage.
(4) : au sujet des cosaques dans les expéditions lisez pour
référence, "voyage en Sibérie" volume 1 et 2. Expéditions menées par un
spécialiste français, accompagnés par des cosaques...
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